lundi 07 décembre

Hommage à Gil Pressnitzer à 20h30

Salle : foyer

GIL PRESSNITZER PRÉSENT

 

«  Quand nous ouvrons un livre nous ne lisons qu’un seul point car le livre finit ce que nous disons comme une phrase sans ponctuation et sans limites. Aussi ce qui n’a pas de point nous fait toujours point de ce que nous sommes, comme un angle sans côté. L’espace qui nous sépare est un vol entre deux choses. Je suis un mot et toi ce qu’il dit. Je m’échange contre toi et je suis ce que tu deviens. Nous sommes ensemble de l’autre côté de ce que dit le mot et fait la chose. Ce qui ne se dit pas, nous dit toujours d’un seul amour sans mot et sans chose. Notre infini existe, car nous ne l’avons jamais voulu. »

 

Gil Pressnitzer est parti de l’autre côté. Au milieu de nous, en plein centre de ce que nous sommes. Il nous laisse, irradié par son soleil au milieu d’un monde traversé par la barbarie. Comme le poème qu’il écrivait et dont il a parlé toute sa vie, il a été un torrent, un ruisseau et une fontaine sur les bords de cette Voie lactée qui nous regarde de ses millions d’yeux et où maintenant il est en devenir d’étoile.

 

Gil poète de l’amour est parti dans l’amour, en connaissant avant ce départ dans cette gare immense où les trains nous attendent, la gare infinie où départs et arrivées s’annulent, sans départ ni arrivée. Sa poésie connue de quelques clandestins assoiffés de passage nous a permis de vivre. La traversée du vivre ou La huitième écorce sont des recueils d’écriture et de paroles centrales où sa poésie nous invite aux dialogues que toute poésie entretient avec l’infini.

 

Poète à la voix singulière, dans une économie de parole, il était le poète de nous-mêmes.

 

Gil savait parler de la poésie des autres, car il était fondamentalement un pont entre les clairvoyances de l’humanité. Son intelligence inégalée savait porter l’humour c’est-à-dire le recul des labyrinthes que le mystère ouvre sous nos pieds. Dans la lumière d’Esprit nomades accompagné de Milosz, Rilke, Reverdy, William Blake, Walt Whitman, Novalis, Georg Trakl, Jaroslav Seifert, Jacob Glatstein, Luis Cernuda, et des dizaines d’autres, il savait que la poésie était l’unique horizon avec lequel on pouvait marcher sur les chemins de notre monde. Sa revue en ligne a convoqué toutes les nations de la poésie pour inventer un monde du sourire et de l’intelligence sans frontière dans la paix des cœurs et des clairvoyances.

 

Ingénieur de la science à l’Aérospatiale, Gil a été dans ces lieux un ingénieur des âmes. Aux côtés de ses amis Christian Schmidt et Xavier Darasse, il participa à la programmation du Centre culturel Croix-Baragnon. Président du centre culturel de l’Aerospatiale, devenue par la suite la mythique salle Claude Nougaro, il inventa un des lieux parmi les plus fondamentaux au carrefour entre le monde du travail et celui du poème. Entre les oiseaux, les nuages et les avions, Gil n’a jamais cessé de voler jusqu’à faire des nuages qu’il traversa d’alphabets qui nous écrivent encore.

 

C’est dans son cœur et dans ses mains que les poètes de la chanson et les grands paroliers de la musique sont venus boire aux sources de notre fleuve.

 

Gil n’a cessé toute sa vie d’impliquer sa vision de la poésie au sein de la vie culturelle toulousaine depuis le festival Jazz sur son 31, le festival Garonne, l’orchestre de Chambre national de Toulouse ou dans l’exercice de conseiller culturel de la Région Midi-Pyrénées.

 

Au début des années 2000, son livre Notes de passage, Notes de partage, nous fit partager avec émotion et clairvoyance son aventure de la parole entre bouche et écriture. Citons dans le puits immense de son amour ces grands noms du chant de la poésie populaire : Cesaria Evora, Dianne Reeves, Brad Mahldau, Anouar Brahem, Ornette Coleman, Jeanne Lee, Elvin Ones, Roy Haynes, Jan Garbarek, Gonzalo Rubalcaba, Ahmad Jamal Juliette, Brigitte Fontaine, Gilles Vigneault, Julos Beaucarne, Richard Desjardins, Sapho, Rufus, Michel Portal, Arthur H, Léotard, Bénin, L. Subramaniam, Gianmaria Testa, Angélique Ionatos, Lhasa, Bratsch, Enrique Morente, Agujeras, ou Lluis Llach, son ami.

 

Claude Nougaro le salua en son temps comme « celui qui ne parle qu’une langue, une seule langue, celle de son âme. »

 

La semaine passée, dans notre Cave poésie, le poète chanteur Jacques Bertin le salua avec ses poèmes et lui dédia son récital qu’il entendit dans le cœur blanc de sa chambre d’hôpital.

 

Depuis quelques années, Gil Pressnitzer fut à mes côtés, à la Cave Poésie, un accompagnateur et un dirigeant incomparable et judicieux. Au sein de notre conseil d’administration, il participa au nouvel élan nécessaire de ce lieu mythique de notre cité.

 

Un des cœurs de la Cave poésie est parti dans le grenier du ciel, même si nous savons qu’il n’y a ni cave ni grenier pour les âmes, seulement une grande maison infinie, aux couloirs infinis sans portes ni fenêtres. Hier, je lui écrivais ces quelques mots, afin de lui donner des nouvelles de notre festival le Nuage en pantalon et lui soumettre aussi quelques réflexions autour d’un poème que j’avais écrit sur un élastique :

« Si on tend un élastique jusqu’à la cassure, l’élastique se rompt en deux. La poésie n’appelle pas cette cassure une rupture, mais une bifurcation, comme une rivière dont l’affluent, contournant un rocher dans la vallée, remonterait son cours à l’envers, en direction de sa source. Toute cassure de la poésie est une bifurcation, c’est-à-dire un changement dans le cours général de la poésie générale. Écrire un poème sur un élastique et le tendre jusqu’à la cassure, tel est le mot d’ordre. Parfois l’élastique de la poésie attire les choses que la langue désigne, et la chose vient cogner contre son mot. Parfois l’élastique casse et la chose reste au même endroit en regardant son mot. Parfois, quand l’élastique change de choses et de mots, il se rompt et désigne une autre distance, un autre nom ou une autre chose entre les mots. L’élastique tendu entre le mot et la chose, jusqu’à sa rupture ou sa bifurcation, modifie à chaque millimètre de son agrandissement ou de sa rétraction une autre chose dans la chose, et un autre mot dans le mot. En ce sens, la poésie qui va jusqu’à la cassure de l’élastique ne confond pas le croisement des mots et le croisement des directions, mais elle sait que si l’on croise un poème avec la vie, on croise aussi deux directions. Si un poème est une cassure, il est donc aussi une bifurcation qui invente son propre nœud ou son garrot qui l’empêche de saigner. »

 

 

Serge Pey