Le Printemps est inexorable
Samedi 20 & dimanche 21 mars 2021
« Le printemps est inexorable »
C’est en citant Pablo Neruda que Roselyne Bachelot a conclu sa dernière intervention pour le monde de la culture. Voilà nous y sommes… Le printemps est là, alors partout en France, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021, nous allons ouvrir les lieux de culture, dans le respect des normes sanitaires.
Lancé par le Collectif des non-essentiels, cet appel est aujourd’hui repris par de nombreuses structures à Toulouse, en Occitanie, et plus largement en France…
Rendez-vous samedi 20 mars à 14 h devant le Théâtre Sorano, 35 allées Jules Guesde pour des prises de parole collectives et l’ouverture de ce week-end de mobilisation.
>> Le programme complet à retrouver en cliquant ici
Mardi 1er décembre 2020 · 19 h
Samedi 28 novembre 2020 · 19 h
OCCUPATION DES CIMETIÈRES ET DES THÉÂTRES
> RÉCITAL DEVANT LA CAVE POÉSIE 28 NOVEMBRE À 19 HEURES
Parce que les morts nous tiennent les jambes pour que nous restions debout
Parce que la poésie est devenue le pus d’une blessure à jamais ouverte au bord de nos lèvres
Parce que certains avenirs sont derrière nous
Parce que certaines ombres aussi
Parce que nous devons creuser des trous dans les tombes dans la lumière et dans la nuit
Parce que la poésie conjugue ses verbes dans des dictionnaires brûlés
Parce que la poésie est mise à mort
Parce que les rayonnages de la poésie sont des alignements d’épitaphes
Parce que les bibliothèques se débarrassent de leurs cadavres dans les poubelles ou les caniveaux
Parce que les sonnets ne sonnent plus et les épopées ne portent plus l’épée
Parce que les mots ne veulent plus rien dire
Parce que les grammaires glissent de leur sens jusqu’à la dispersion de leurs lettres
Parce que les verbes sont tués par des policiers de la poésie au service de l’oppression
Parce que nous voulons venger les mots
Parce que nous demandons aux morts d’exister contre les mots qui sont morts
Parce que nous avons posé un pistolet d’amour sur la tombe de Verlaine au cimetière des Batignolles
Parce qu’à Charleville nous avons brûlé une rose sur le nom de Rimbaud
Parce que nous avons défoncé une porte avec Rodanski dans un hôpital psychiatrique de Lyon
Parce que « nous n’avons pas mangé de ce pain-là » sur la tombe de Péret et cherché « l’or du temps » sur celle de Breton
Parce que nous avons fui l’école jusqu’à Montfaucon en récitant la « ballade des pendus » du pauvre François
Parce qu’avec Neruda nous avons planté un drapeau rouge à Isla Negra
Parce que l’épitaphe de Huidobro à Cartagena nous invite à creuser au fond de sa tombe pour voir la mer
Parce que nous avons marché le poème comme nous l’avons chanté
Parce que sur la tombe vivante d’Antonio Machado nous avons déposé un bâton, et dans sa boîte aux lettres, posté les courriers de l’espoir
Parce que nous avons rempli son cimetière de bulles de savon
Parce que la poésie est la part maudite de nos paroles
Parce que la poésie est aux mains des services municipaux du tourisme de la pensée
Parce que la poésie est interdite par les journalistes de la mort
Parce que la poésie est défigurée dans les écoles au nom des gymnastiques des rhétoriques
Parce que nous devons soutenir certains supérieurs inconnus cachés dans les écoles qui continuent à lire la liberté
Parce que nous avons envie de vomir les lettres que les mots ne veulent plus
Parce qu’on ne peut plus nous tuer puisque nous sommes déjà morts
Parce que nous revendiquons un seul héritage venu de l’avenir
Parce que nous sommes les héritiers de ce qu’on ne peut hériter chez les notaires
Parce que nous appelons à l’insurrection de la parole des morts
Parce que nous convoquons à la dispersion des cendres des livres que la société brûle
Parce que nous ne sommes pas des poètes mais une poignée de corbeaux sur la terre
Parce que nous n’avons plus le choix
Parce que nous allons transformer nos tombes en quartier général avancé de la vie
Parce que nous voulons créer des millions de résurrections infinies
Parce que nous sommes vivants
Parce que nous appelons les poètes à se lever en masse et à réciter sur les tombes
Parce que nous invitons à occuper tous les lieux de dispersion des cendres de la vie
Parce que nous ne devons pas oublier les livres qui ont débordé nos lèvres
Parce que nous devons aimer à l’infini ceux qui les ont écrits
Parce que nous devons déterrer les poètes assassinés par le silence
Parce que nous sommes pauvres
Parce que nous devons tirer à volonté sur les fossoyeurs qui nous entourent
Parce que nous appelons à ouvrir les portes des théâtres
Parce que nous appelons à renverser les portes
pour en faire des tables où nous mangeons le pain de la poésie
Parce que quand la montagne
nous demande le chemin
nous semons des oiseaux dans le ciel
pour ne pas nous perdre
Parce que les enfants sucent des allumettes car leur salive est du pétrole
Parce que si Dieu
exauçait la prière des chiens
il ferait pleuvoir des os
Parce que si nous parfois nous avons mal aux pieds
c’est que les étoiles nous cloutent les pieds
Parce qu’un poète clandestin
est toujours un être quantique
et qu’il apparaît deux fois en même temps
dans deux endroits opposés
mais en disant un poème différent
Parce qu’il faut saisir tout le ciel
et l’ajouter à une poubelle
pour former un nouvel objet
qui ne sera plus ni entièrement une poubelle
ni tout à fait le ciel
Parce que je t’appellerai
simplement
amarade
Parce que je t’aime
Parce que tout vrai poète est un pohémien
Parce qu’un poème
ne s’écrit pas en vers
mais à l’envers
Parce que si tu n’écris plus de mots avec tes mains il faut écrire des mots avec tes pieds
Parce qu’il faut devenir une mouche qui se pose alternativement sur un excrément puis sur une fleur, enfin sur un homme et ensuite faire un « sandwich de réalité »
Parce que les yeux sont des monnaies
que l’on donne aux autres
quand on ne veut pas se vendre
Parce que agir c’est s’intérioriser
à l’extérieur
et qu’un oiseau vole pour cette raison
Parce que la main ouverte n’a pas d’ongle
Parce qu’il faut écrire des poèmes
qui ne soient pas des poèmes
la poésie aime cela
Parce que si on retourne les barreaux
verticaux de la fenêtre d’une prison on
peut dresser une échelle contre le mur
Parce que pour lire un poème
il faut refermer le livre
sur lequel il est écrit
Parce que la croix dit
Parce que si on tend une corde entre mes deux bras
on peut tirer une flèche vers le ciel
Parce que dans un pays
où Dieu est crucifié
seule la torture est libre
Parce que dans un pays où la pensée
est mise en sondage
seule la bêtise est libre
Parce que dans un pays où les images
ont remplacé le feu
seuls les écrans sont libres
Parce que dans un pays
où l’on dresse des palais pour la justice
seul le mensonge est libre
Parce que si on te dit que la poésie n’appartient pas à la réalité, fais remarquer que 90 % de l’univers est constitué d’une matière inconnue et qu’ainsi 90 % de la réalité ne sont donc pas connus
Parce que nous sommes cernés par les cibles
Parce que quand le ciel a le feu au cul comme ce soir
on appelle cela un coucher de soleil
Barricades de poèmes sur les tombeaux !
Résistance ! Occupation de la poésie !
Emeutes, jusqu’à l’heure finale des poètes
grève générale de la poésie contre la mort de la poésie
Nous avons un drapeau
qu’on voit et un drapeau
qu’on ne voit pas
Nous avons le drapeau
sans drapeau
de tous les drapeaux
Nous avons un drapeau
comme un mouchoir
pour vomir notre sang et notre peau
Nous avons un drapeau qui cache
un squelette
effondré dans ses propres os
Nous avons un drapeau qui déshabille
tous les drapeaux
Notre drapeau est un soulier
Notre drapeau est un morceau de pied
Nous avons un drapeau
Un morceau de drap
Un morceau de peau
Nous avons un drapeau
Nous avons une main
Nous avons une peau
Nous avons un drapeau fait
avec un œil et un oiseau
Nous avons un drapeau sans drapeau
Nous avons un drapeau
qui n’aime pas les drapeaux
Nous avons un drapeau en feu qui
brûle tous les drapeaux
Nous avons un morceau de bois
Nous avons un morceau de peau
Nous avons un drapeau sans drapeau
au milieu d’un million de drapeaux
Nous avons un drapeau sans drapeau
parmi un seul drapeau
Nous n’avons pas de drapeau
Nous avons un drapeau sans drapeau
dans notre propre drapeau
Si tu attends quelqu’un
laisse la porte ouverte
Si tu sais qu’il ne viendra
plus jamais
laisse la porte encore ouverte
puis détruis cette maison
pierre par pierre
autour de cette porte
toujours laissée ouverte
Et peut-être viendra-t-il
de l’intérieur de cette nouvelle maison
sans mur
et sortira-t-il par la porte
toujours laissée ouverte
sans que personne
ne l’ait vu entrer